Séquestration du carbone - Spécificité de l'AC
La séquestration du carbone[6] en Agriculture de Conservation[7] (AC) est à l'origine de nombreuses controverses. En effet, certaines études ont annoncé un effet nettement positif de l'AC et plus précisément des Techniques Culturales Sans Labour[1] (TCSL), sur la teneur en carbone dans le sol. D'autres n'ont montré aucune différence, notamment si tous les profils du sol sont considérés ( Angers & Eriksen-Hamel, 2008[2] ; Luo et al., 2010[3] ; Balesdent et al., 2000[4] ; Cohan & Mary, 2014[5]).
La méta-analyse réalisée par Angers et Eriksen-Hamel, comparant les TCSL en AC et le labour conventionnel[8], a permis de mettre en évidence que :
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Explications :
Le labour enfouit la matière organique[9] (MO) dans tous les profils du sol. L'AC, au contraire, concentre la MO dans l'horizon de surface. Ainsi, suivant le travail du sol effectué, une stratification verticale différente de la MO est observée. Il en est donc de même pour le carbone ( Luo et al., 2010[3] ; Angers et Eriksen-Hamel, 2008[2] ; Balesdent et al., 2000[4] ; Cohan & Mary, 2014[5]).
Exemple :
Dans le Cerrado, région de savane au Brésil, des études ont reporté un stock de carbone plus élevé en AC qu'en système de labour conventionnel, avec un taux de carbone stocké de 0,4 à 1,9 Mg C/an/ha dans la couche 0-40 cm. Toutefois, dans ces régions, l'accumulation de carbone organique dans le sol sous AC, semble apparaître que lorsque l'azote n'est pas limitante et lorsque le taux de retour de matière organique est important, c'est-à-dire supérieur à 12 Mg de matière sèche/ha. D'autre part, des études ont montré que du fait des conditions favorables à la décomposition (températures élevées et humidité), les émissions de CO2 due à l'activité microbienne sont plus élevées en AC qu'en système conventionnel. Cependant, les pertes de carbone via la décomposition sont largement compensées par un retour au sol des résidus de cultures en AC, qui sont 2 à 3 fois supérieurs au système conventionnel ( Scopel et al., 2013[10]).
Des études montrent que l'accumulation de carbone dans les sols est généralement plus faible en France que dans les régions tropicales du Brésil, allant de 0,1 à 0,4 Mg C/an/ha sur les 20 premiers cm de profondeur ( Scopel et al., 2013[10]).
D'autres études menées au Brésil et en Europe reportent que les taux de carbone organique sous AC sont très similaires aux taux en système conventionnel ( Scopel et al., 2013[10]).
Sur les quelques études où les échantillonnages ont été étendus au delà de 30 cm de profondeur, les TCSL ne mettent pas en évidence une accumulation supérieure et cohérente de carbone organique dans les sols. Seule une différence dans la distribution du carbone a été observée, avec une plus grande concentration près de la surface en AC et dans les horizons plus profonds en labour conventionnel ( Baker et al., 2007[11]).
Remarque :
La variabilité des résultats entre études peut être expliquée par de nombreux facteurs jouant sur la minéralisation du carbone. En effet, elle peut être influencée par l'humidité, la température, l'aération, le pH, la disponibilité en nutriments ou encore le type de sol ( Paustian, et al., 2000[12] ; Scopel et al., 2013[10]). Selon des études, il semblerait que des précipitations proches de 500-600 mm favorisent la séquestration du carbone alors que des températures proches de 18-19 °C ne la favorisent pas ( Luo et al., 2010[3]).
Le climat a un effet particulièrement important sur le stockage et le déstockage du carbone. En effet, le travail réduit du sol semble stocker plus de carbone en période sèche mais en déstocker en période humide. L'augmentation du stockage lors des années sèches peut donc s'annuler avec des années humides. Au final, le stock total de carbone semble peu ou pas augmenté par les TCSL ( Cohan & Mary, 2014[5]).
La perte de carbone dans des sols agricoles se fait principalement à la surface, sur les 10 premiers cm ( Luo et al., 2010[3]).
Attention :
La grande majorité des études compare la séquestration du carbone entre labour et TCSL. Elles ne se basent donc que sur le premier principe de l'AC (perturbation minimale du sol). Toutefois, en incluant le deuxième principe de l'AC (couverts végétaux) dans ces études, il est possible d'envisager une éventuelle augmentation de la séquestration du carbone sur le long terme.
Remarque :
Plusieurs études indiquent que l'AC permettrait d'augmenter la séquestration du carbone pendant les 20 à 50 premières années ou jusqu'à ce que la séquestration du carbone atteigne un nouvel équilibre ( Luo et al., 2010[3]).
Ainsi, à ce jour, il apparaît difficile de conclure quant à la séquestration du carbone. En effet, les connaissances sur ce domaine sont encore trop minces, peu concluantes et parfois peu significatives. Les études évaluant le taux de séquestration au delà des 30 cm de profondeur ne sont pas assez nombreuses. Ces dernières expliquent que le teneur en carbone ne change pas, mais qu'elle est seulement redistribuée différemment dans les profils du sol ( Angers & Eriksen-Hamel, 2008[2] ; Luo et al, 2010[3] ; Arvalis Institut du végétal et al., 2007[13] ; Baker et al., 2007[11] ; Cohan & Mary, 2014[5]).
Les recherches sont donc à poursuivre, afin de combler certaines lacunes telles que : le nombre d'expérimentation, la durée, la localisation, la profondeur des échantillonnages, l'interaction des différentes pratiques et des différents paramètres (climat, sol, culture, etc.) ( Baker et al., 2007[11] ; Luo et al., 2010[3]).
Ces paramètres sont parfois difficiles à évaluer, mais ils sont primordiaux afin de connaître la quantité et surtout la répartition du carbone dans tous les profils du sol ( Luo et al., 2010[3] ; Angers et Eriksen-Hamel, 2008[2] ; Baker et al., 2007[11] ; Cohan & Mary, 2014[5]).
Il est donc prématuré aujourd'hui de promouvoir le potentiel de l'AC pour améliorer la séquestration du carbone. Cependant, d'autres bonnes raisons, comme la réduction de l'érosion[14], démontrent l'intérêt de la mise en place de l'AC ( Baker et al., 2007[11] ; Cohan & Mary, 2014[5]).
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Références bibliographiques :
Angers & Eriksen-Hamel, 2008[2]
Arvalis Institut du végétal et al., 2007[13]
Auteurs : Lucile Bretin, Marjorie Bru, Auriane Eysseric
Supervisions et corrections : Sarah Clerquin, Joséphine Peigné, Jean-François Vian, Eric Blanchart