Processus écologiques

Perceptions des vers de terre par les agriculteurs

Au cours de l'histoire, la perception que les humains ont eu des vers de terre a beaucoup changé.

De l'antiquité au Moyen-Age

Les premiers écrits remontent aux Babyloniens, aux Grecs et aux Egyptiens qui leur accordaient une grande valeur : Aristote les appelait « les intestins de la terre », les Babyloniens les utilisaient pour lutter contre les lumbagos et en Egypte, ils servaient d'indicateurs météorologiques. L'importance reconnue des vers de terre vis-à-vis de la fertilité des sols des berges du Nil a poussé Cléopâtre à les déclarer comme des animaux sacrés devant être protégés par tous les sujets. Passé l'antiquité, on trouve peu de références aux vers de terre. Au Moyen-Age et dans les siècles qui suivirent, ils étaient plutôt considérés comme nuisibles et devaient être éliminés des sols. Par exemple, dans le Cours Complet d'Agriculture de l'Abbé Rozier (1805) la section « Vers » présente un long article traitant notamment de l'aspect nuisible des vers de terre et des moyens pour les éliminer.

Darwin

Excepté quelques écrits de la fin du 18e siècle (White, 1789), il a fallu attendre le très fameux ouvrage de Darwin sur les vers de terre (publié en 1881) pour redonner à ces invertébrés une image très positive.

Depuis cette époque, les vers de terre sont considérés comme les « amis de l'homme » bien que l'agriculture se soit orientée vers une utilisation de plus en plus forte de produits chimiques. L'intérêt croissant (et relativement récent) pour l'agriculture biologique (ou organique) ou l'agriculture de conservation dans lesquelles les vers de terre jouent un rôle important vis-à-vis de la fertilité du sol, ont ramené Darwin et les vers de terre sous les feux de la rampe.

Définition

Dans ces systèmes, les vers de terre remplacent le labour dans sa fonction d'aération du sol, d'entretien de la macroporosité et d'enfouissement de la matière organique.

Conscients de l'importance de cette faune endogée dans la réussite agronomique de ces systèmes, les agriculteurs concernés ont alors fait des vers de terre un véritable symbole du SCV. Ainsi se sont créées des associations, des fondations d'agriculteurs pratiquant le SCV, tel le « Clube da Minhoca » (littéralement « Club du ver de terre ») au Brésil dans les années 70 (Raunet, 2003), ou plus récemment la Fondation Nationale pour une Agriculture de Conservation des Sols (FNACS) en France, arborant comme logo une coupe de sol montrant deux vers de terre autour des racines d'une plantule.

Chez ces agriculteurs français se revendiquant d'une agriculture plus proche de la vie du sol, les vers de terre et plus généralement la faune du sol sont alors personnalisés, idéalisés, mythifiés dans les discours (Goulet, 2004). Ainsi, l'esthétique du sol colonisé par les vers de terre est soulignée (« Quand un sol est brun et plein de vers de terre, c'est un signe de bonne santé. [...] C'est quand même beau »), et le rapport à la nature, usuellement entrevu en agriculture sous l'angle de la domination de l'homme grâce à la technique, est reconsidéré (« vivre en harmonie avec la faune et la flore du sol qui travaillent pour nous »).

Les agriculteurs, notamment ceux qui pratiquent l'agriculture de conservation et l'agriculture biologique, attachent une grande importance à la présence des vers de terre dans leurs sols.

Les vers de terre constituent pour eux un bioindicateur clef de la qualité de leur sol. Ils associent leur présence et celles de turricules à la surface du sol à un « bien être global de la vie du sol » et à une bonne structure: « les vers de terres c'est notre système de drainage » ou encore « les vers de terre c'est notre charrue ». Ces agriculteurs orientent leurs pratiques pour favoriser le développement des vers de terre car ceux-ci « travaillent directement pour nous » et leur permettent « d'économiser du temps et de l'énergie ». Certains d'entre eux en ont même une connaissance pointue. Ils savent reconnaitre les catégories écologiques et relier la présence de ces catégories au type de porosité qu'ils créent (galeries sub-horizontales, verticales).

Beaucoup d'agriculteurs se focalisent essentiellement sur les populations de vers de terre pour évaluer l'effet de leurs systèmes de cultures à long terme: « augmenter la biodiversité c'est bien, mais moi je me focalise sur les vers de terre ». Les vers de terre restent donc le bio-indicateur le plus connu et le plus utilisé, de façon plus ou moins empirique, par les agriculteurs pour évaluer l'influence de leurs pratiques sur la qualité de leur sol.

« Références : Blanchart et al., Etude et Gestion des Sols, (2005) Baillod A., Fruchaud, G., Hatier, J., Mac Dowall C., Marin, A., Passard, A. et Voisin, M., (2010): Etude sur la perception des agriculteurs de la qualité des sols et des bioindicateurs – Projet PEPITES, enquêtes réalisées par les étudiants du Master-Européen d'Agroécologie de l'ISARA-Lyon. »

Auteurs: Eric Blanchart - Joséphine Peigné -Jean-François Vian

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